mercredi 19 janvier 2011

André Ouzoulias dans l'Humanité du 17 janvier 2011

Tests, mensonges et idéaux
Les évaluations nationales des élèves de CM2 débutent aujourd’hui. La FCPE a appelé à les « bloquer ». Formateur à l’IUFM de Versailles, André Ouzoulias est, lui, signataire de l’appel au boycott des « enseignants désobéisseurs 

Critiqués depuis leur instauration en 2009, ces tests, portant sur les mathématiques et le français, ont un peu évolué cette année. Un tiers des exercices, notamment, ne seront plus corrigés de manière binaire («juste» ou «faux») et bénéficieront d’une notation plus graduelle. Une avancée jugée par beaucoup comme insuffisante.
Pourquoi dénoncez-vous ces évaluations?
André Ouzoulias. Le ministère se disait ouvert à une évolution de ces tests mais il n’a pas tenu compte des critiques. Deux tiers des exercices continuent d’être notés de façon binaire et la durée accordée aux élèves pour les réaliser n’est toujours pas suffisante. Ces tests n’évaluent pas, non plus, le langage oral ou encore les arts visuels, l’histoire-géo, les sciences… Ils poussent le maître à se focaliser pendant l’année sur le français et les maths et à délaisser d’autres disciplines pourtant essentielles à l’émancipation des individus. Enfin, le calendrier choisi pour faire passer ces évaluations est extravagant.
C’est-à-dire?
André Ouzoulias. Il a toujours existé des évaluations bilan, en fin d’année, pour vérifier si les élèves ont bien acquis toutes les compétences. Et également des évaluations diagnostic, en début d’année scolaire voire de cycle, afin de connaître les difficultés de l’enfant et d’ajuster l’enseignement à venir. Là, ce n’est ni l’un ni l’autre. Cette évaluation ressemble à un bilan mais se situe au milieu de l’année et porte sur des notions qui, pour certaines, n’ont pas encore été enseignées. Pour les professeurs, ces tests ne leur sont donc quasiment d’aucune utilité. De même, si le but est d’évaluer la performance de notre système éducatif, il n’était pas nécessaire de faire passer des tests à l’ensemble des CM2. Il suffisait, comme le font très bien les études Pisa ou la Depp (l’instance chargée des statistiques et de l’évaluation au ministère), de prendre un échantillon représentatif de quelques milliers d’enfants. C’est fiable et coûterait beaucoup moins cher. À l’évidence, ces évaluations ont donc une tout autre fonction.
Laquelle?
André Ouzoulias. Le but a été annoncé par Xavier Darcos en février2008: rendre publics les résultats des écoles, voire des classes de CE1 et de CM2, sur fond d’assouplissement de la carte scolaire. La protestation générale a permis de faire reculer le ministère. Nous avons réussi, jusqu’ici, à éviter d’avoir un palmarès des établissements et de basculer dans un système à l’anglo-saxonne basé sur la compétition entre écoles. Mais le danger demeure.Ces évaluations s’inscrivent également dans la volonté du gouvernement d’instaurer dans la fonction publique un «management entrepreneurial» et son culte du résultat chiffré. Ces évaluations ne servent pas à aider les enseignants à faire leur travail de manière plus efficiente, à mieux comprendre les difficultés des élèves, mais représentent un élément de pression hiérarchique pour les mettre dans une situation de contrainte. C’est, au fond, une marque de défiance de la part du gouvernement à l’égard des personnels dont il restreint la liberté d’initiative.
André Ouzoulias

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