jeudi 12 décembre 2013

Hommage à Nelson Mandela


Hommage à Nelson Mandela
Paris le 9 décembre 2013
Discours de Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français.

Madame l'ambassadrice d'Afrique du Sud en France,
Messieurs les ambassadeurs de Palestine en France et auprès de l'Unesco,
Madame Jacqueline Dérens, fondatrice de la Rencontre nationale avec le peuple d'Afrique du Sud,
Mesdames, messieurs,
Chers amis, chers camarades,

Le 7 juin 1990, quatre mois à peine après sa libération, le 11 février 1990, Nelson Mandela se trouvait ici même au siège du Parti communiste, accueilli par Georges Marchais. Âgé alors de 72 ans, celui qui n'était pas encore Président de la nation « arc en ciel » était venu en frère pour témoigner de sa reconnaissance à notre parti, et à toutes celles et ceux qui, à ses côtés, avaient embrassé le combat contre l'apartheid et celui pour sa libération, 27 années d'un combat inlassable, finalement victorieux, et 42 ans depuis l'instauration de l'apartheid en 1948.
Aujourd'hui, Madiba n'est plus, il est « rentré à la maison », endeuillant une nation dont les frontières débordent la seule Afrique du Sud. Nelson Mandela n'a jamais voulu être une icône,  lui, dont les premiers mots à sa sortie de prison, furent : « Je suis ici devant vous, non comme un prophète, mais comme votre humble serviteur. » C'est pour honorer cette leçon de combat et d'humilité au service de l'émancipation humaine, que nous portons à nouveau ce soir à la boutonnière le badge à l'effigie de Mandela, que nous portions si fidèlement lors des longues années de lutte pour sa libération.
Ce soir, nous saluons le combat d’une vie, qui fut le symbole de la lutte collective de tout un peuple. Celle d’un jeune sud-africain avocat noir, celle du militant de la Charte de la liberté  adoptée par le Congrès du Peuple en 1955, à Soweto, celle d’un révolutionnaire qui fait le choix de la lutte armée, quand la tyrannie de l'apartheid ferma toutes les portes de la non violence, celle d’un responsable politique qui traverse avec courage et sans haine 27 années de bagne et de prison, celle du premier Président sud-africain élu au suffrage démocratique non racial, symbole de l'union d'un peuple dans sa lutte pour la liberté, la paix et une nouvelle Afrique du Sud. Telle fut l’existence de Nelson Mandela, tumultueuse, faite des peines les plus profondes comme des joies les plus grandes.
L'hommage le plus sincère que nous pouvons rendre à Nelson Mandela est d'éviter les artifices d'une canonisation vidée de sens, portant au pinacle l'homme de la réconciliation et masquant volontairement l'homme de combat. Nelson Mandela ne fut qu'un. La dureté de sa lutte est indissociable de son ambition de réunification, fondée sur l'égalité de tous les Sud-Africains. Il n’y a pas eu d’abord Mandela le révolutionnaire, puis Mandela le réconciliateur. Il a toujours été les deux. La lutte contre l’apartheid et la volonté de réconciliation ont été les objectifs fondateurs de l’ANC qui se battait pour une Afrique du Sud non raciale rassemblée autour de la justice et des droits démocratiques pour tous. Mandela est devenu la figure de proue de ce combat. Mais derrière lui, il y avait une cause, une organisation, la triple alliance de l'ANC, du Parti communiste sud-africain et de la Cosatu, et des milliers de combattants. Derrière le nom de Mandela raisonnent ceux de Walter Sisulu, d'Olivier Tambo, de Joë Slovo, de Chris Hani, le secrétaire général du PC Sud Africain, sauvagement tué un an avant l'élection de Mandela, de Desmond Tutu, de Dulcie September, représentante de l'ANC, lâchement assassinée en plein Paris, et tant d'autres.... Le sourire de Mandela est une constellation de sourires, de ces sœurs et frères sud-africains, de ces combattants, de ces camarades. Nelson Mandela est universel, il est le visage réconfortant, familier de ceux qui n'abdiquent pas face à la ségrégation, la discrimination, l'exploitation, l'oppression, de ceux qui tendent la main, qui rassemblent autour de causes justes qui font l'essence de l'humanité. Pour tous ces combattants, j’ai ce soir une pensée très émue.
Rendre hommage à Mandela, c'est parler d'un peuple et de sa lutte contre le régime de l'apartheid, déclaré crime contre l'Humanité. Prolongement des politiques et des pratiques coloniales, l'apartheid (séparation en afrikaans) fut la pierre angulaire du nationalisme afrikaner et le pilier du développement d'un capitalisme brutal en Afrique du Sud. Il fut, durant de longues décennies, le cœur de la société ségrégationniste sud-africaine, contingentant tous les secteurs de la vie du pays, condamnant des millions d'hommes et de femmes « non blancs » à la misère et l'exploitation. C'est contre ce système de haine que Mandela et les siens se sont battus. Des bancs de l'université à l'ANC, du bagne à la présidence, la vie de Nelson Mandela est à l’image de tous ces combattants qui risquèrent leur vie, choisissant l’espoir contre la résignation. La Charte de la liberté adoptée le 26 juin 1955, que le magnifique numéro spécial de l'Humanité, paru samedi, vient de republier, est l’expression de cet engagement politique du peuple sud-africain rassemblé. Elle est le terreau, la synthèse des revendications sous-tendues par la lutte pour l’égalité et la démocratie. Relisez-là, et vous vous rendrez compte du chemin parcouru mais aussi du chemin qui reste à parcourir…
Le mouvement émancipateur dont Nelson Mandela fut l’un des acteurs est éminemment politique. Il dépasse le seul parcours individuel d’un homme aussi exceptionnel soit-il. Il fut ce que la force collective, le combat commun, le rassemblement peuvent produire de meilleur.
Rendre hommage à Mandela, c'est aussi prendre la mesure de l'immense mouvement de solidarité internationale qui permit sa libération, et dont nous sommes fiers d'avoir été les fers de lance en France. Le Parti communiste français et les jeunes communistes ont joué un grand  rôle dans la médiatisation du sort et du combat du matricule 446-64 de la prison de Robben Island. Le PCF lança son action de soutien dès sa condamnation au procès de Rivonia en 1964, et il faut relire l’intervention à l’Assemblée nationale de Marie-Claude Vaillant Couturier, dès cette année là. Pendant des années nous avons dû combattre la chape de plomb qui condamnait Nelson Mandela au silence et à l'indifférence. Cette indifférence servait le régime d'apartheid. Et quand elle fut brisée, il fallut alors combattre ceux qui justifiaient encore la collaboration économique des gouvernements et des groupes français avec le régime. Rendez-vous compte, au début des années 80, un sondage réalisé attestait que seuls 2% de la population française connaissaient le nom de Mandela. Il en a fallu, des combats et des mobilisations. Des manifestations de soutien aux occupations d’ambassade en passant par les concerts et les tags sauvages « libérez Mandela », nous avons, tous ensemble, mené une lutte exemplaire de solidarité. Je garde, pour ma part, et comme beaucoup d'entre vous, tant de souvenirs au cœur. En septembre 1984, nous avions, avec 400 jeunes  communistes, envahi l'ambassade d'Afrique du Sud pour la recouvrir de peinture noire. Nous en étions si fiers. A la mobilisation citoyenne, aux campagnes de sensibilisation, nous avons ajouté la campagne économique en appelant au boycott. Nous voulions frapper au cœur le système d’apartheid, et cela a payé. Notre combat a, peu à peu, sorti de l’ombre Nelson Mandela et ses camarades. Les maires communistes ont baptisé de son vivant, quand il était par certains traité de « sioniste » des dizaines de rues, de places, de gymnases, de collèges du nom de Nelson Mandela. Peut-être serait-il utile d'y lire aujourd'hui la Charte de la Liberté de 1955, tant elle résonne face au retour abject des discours racistes. Oui, mesdames et messieurs qui célébrez tous Nelson Mandela, et c'est tant mieux, nous avons envie de vous dire : un peu moins de poncifs et un peu plus de sens ! Sa libération, le 11 février 1990, fut pour nous une grande explosion de joie. J'étais ce jour-là, à l'Humanité, qui a tant fait dans ce combat. Nous étions agglutinés devant la télé, et nous pleurions devant son sourire et son poing levé.
Alors, aujourd’hui, alors que Madiba n’est plus, que l'Afrique du Sud poursuit son combat vers l'émancipation humaine, que le combat fait rage en Afrique et partout dans le monde pour continuer à faire avancer la justice et l'égalité, nous ne saurions mieux lui rendre hommage qu’en perpétuant son héritage de lutte, et son esprit de rassemblement. Continuons nos combats pour l’émancipation humaine, continuons nos campagnes de solidarité internationale qui confèrent aux luttes pour la libération des peuples une dimension universelle. Je pense évidemment aux luttes qui continuent du peuple sud-africain. Je pense au peuple palestinien, sahraoui, kurde qui se battent pour leurs droits et qui ont besoin de notre soutien. Je pense à la campagne internationale pour la libération des prisonniers politiques palestiniens, pour qu'à leur tour, Marwan Bargouthi, et les siens, ne passent pas 27 années derrière les barreaux ! Il est déjà incarcéré depuis 11 ans ! Je pense aux peuples d'Afrique, et en ces heures tragiques, aux peuples du Mali et de Centrafrique, qui subissent la guerre auxquels, seuls la paix et le développement et non les armes, pourront ouvrir les voies de la liberté et de l'avenir. Je pense enfin évidemment très fort à notre combat, ici en France, contre les forces brunes, les forces racistes et xénophobes qui cherchent à gagner du terrain. Portons toujours plus haut le combat anti-raciste. Il est inexorablement lié à notre lutte pour l’égalité entre tous les hommes, entre les hommes et les femmes et pour l’émancipation du genre humain.
Je conclurai cet hommage en citant un passage du message que Nelson Mandela avait adressé aux participants de l’édition 1996 de la fête de l’Humanité :
« Ma génération laisse la jeune génération avec quelques exemples héroïques de tâches accomplies. Mais nous vous laissons aussi avec d'énormes défis, avec des problèmes anciens et nouveaux. (…)  les jeunes peuvent refuser de succomber au désespoir. Vous pouvez dire non à l'intolérance. Vous pouvez, et vous devez, prendre en charge la responsabilité de changer le monde et d'améliorer le sort de tous les peuples ».
Oui, avec Mandela, avec son peuple, avec ses camarades d'hier, d'aujourd'hui et de demain, nous continuons à clamer la victoire, celle qui donne au peuple le pouvoir.
Avec Mandela, nous crions « Amandla » !

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